Parcours d’un téléfilm culte
Communiqué, 23 février 2009 : Jean Segura, journaliste, fait revivre les coulisses du tournage d' ANNA , comédie musicale culte, réalisée pour la télévision française en 1967 par Pierre Koralnik avec Anna Karina, Jean-Claude Brialy, Serge Gainsbourg et Marianne Faithfull.
Vendredi 13 janvier 1967 à 21h40, les téléspectateurs français découvrent ANNA sur la 1 ère chaîne de leur poste 819 lignes noir et blanc. Sur l'autre chaîne, l'autre moitié de la France regarde Les Pigeons de Venise , comédie avec Robert Manuel dans le cadre d' « Au théâtre ce soir » de Pierre Sabbagh. Intentionnellement ou non, certains auront fait ce soir-là le bon choix.
ANNA , comédie musicale produite par Michèle Arnaud, tournée en 35mm couleur pour l'ORTF, est comme une incursion « nouvelle vague » dans la petite lucarne : photo de Willy Kurant, qui vient de tourner Masculin Féminin avec Jean-Luc Godard, montage de Françoise Collin, chef-monteuse sur Pierrot le Fou , chorégraphie désarticulée de l'Américain Victor Upshaw. Les chansons aigres-douces inaugurent le style parlé-chanté « talk-over » qui sera la marque de fabrique de Gainsbourg pour les décennies à venir. Les arrangements de Michel Colombier, co-auteur de Psyché Rock dans la Messe du Temps présent de Pierre Henry, donnent à la musique un tranchant électrique, témoignant de l'influence du rock anglo-saxon et détonnant avec le style yéyé qui domine alors dans l'hexagone.
C'est un vrai coup de jeune qui souffle dans le paysage audiovisuel des années 60, secouant la France engourdie des années gaulliennes.
L'histoire : un chef d'agence publicitaire, Jean-Claude Brialy, tombe amoureux d'une jeune femme anonyme photographiée par hasard dans une gare, Anna Karina. Le bonheur semble à portée de main. Aidé par son ami, Serge Gainsbourg, notre héros sentimental part la recherche de cette fille introuvable en mobilisant toute l'équipe de son agence de pub.
Karina, encore dans le sillage de Godard, se retrouve aux côtés d'un Brialy en jeune homme sous hypnose amoureuse, et d'un Gainsbourg déjà sous son masque railleur et cynique. Centre de gravité du film, l'égérie de la Nouvelle Vague irradie le tube cathodique : rockeuse, danseuse, romantique, comique, pudique, charmante, bouleversante. Des apparitions éclair d'Eddy Mitchell au Bus Palladium et de Marianne Faithfull, idoles à la mode des deux côtés respectifs de la Manche, complètent cette ambiance rock des sixties.
À la suite du film sortent un 33 et un 45 tours, disques devenus très vite introuvables et recherchés aussitôt par les collectionneurs, d'autant que le titre Sous le soleil exactement , interprété par Anna Karina dans le film sur la plage de Deauville, est un tube.
ANNA va rester une référence dans l'oeuvre de Gainsbourg, un avant-goût de ses duos avec diverses chanteuses et actrices : dès 1967 dans son show télévisé avec Brigitte Bardot, puis avec Jane Birkin, annonçant quatre ans à l'avance le flamboyant Melody Nelson , produit en 1971 avec Jean-Claude Vannier ; et plus tard avec Catherine Deneuve, en 1980 dans le film Je vous aime de Claude Berri.
Présenté à l'ouverture du 3 ème Festival du Jeune Cinéma d'Hyères le 17 avril 1967, ANNA , le film, ignoré ou descendu par la critique, ne sortira cependant jamais en salle. Seuls quelques privilégiés pourront le voir ou le revoir sur grand écran à l'occasion de rares projections.
À partir des années 1990, ANNA est rediffusé plusieurs fois à la télévision, sur Canal Jimmy notamment, et on peut le découvrir sous sa forme originelle, avec la couleur, mettant enfin en valeur la photo de Willy Kurant. Au Japon où il a été projeté en salle, ANNA est un film culte, édité en VHS puis, en 1999, en DVD.
Pour ceux qui ont participé à sa création en 1966, ANNA reste un moment privilégié de leur carrière. Jean-Claude Brialy se souvient de l'atmosphère de délire lors des scènes tournées dans les rues de Paris, et Anna Karina, comme Françoise Collin, semble toujours émue d'en revoir les images aujourd'hui.
Ce furent aussi, pour les deux stars de la Nouvelle Vague qu'étaient Karina et Brialy, des instants précieux partagés avec Serge Gainsbourg qui leur apprit à chanter, à écouter ses blagues, à apprécier sa gentillesse et son humour.
Alors jeune réalisateur qui s'était distingué sur les émissions télé rafraîchissantes Ni-Figue, Ni-Raisin ou Dim Dam Dom, Pierre Koralnik a su créer une ambiance débridée préfigurant l'esprit « pop » des années 68 ; écho à d'autres films néo-baroques de l'époque, Blow-Up d'Antonioni, Qui êtes-vous Polly Maggoo ? de William Klein ou The Knack de Richard Lester.
Plus de quarante ans après sa première diffusion, ce film réveille un plaisir enfoui, pour les uns comme un joli souvenir qu'on voudrait revivre en boucle, et pour les autres, plus jeunes, comme une évocation acidulée du meilleur des années 1960.
Jean Segura, qui a rencontré les principaux protagonistes d' ANNA - Pierre Koralnik, Anna Karina, Jean-Claude Brialy, Willy Kurant, Françoise Collin, la scripte Claude Dequier, se propose de faire revivre, à travers leurs souvenirs respectifs, l'histoire singulière de cette belle aventure.
Ce livre est aussi une évocation de cette période charnière au cours de laquelle la « France qui s'ennuie » qu'évoquait Pierre Viansson-Ponté côtoie celle, en rupture, des « enfants de Marx et Coca-Cola » de Godard ou de William Klein, génération à mi-chemin entre guerre d'Algérie et guerre du Viêt-Nam, entre noir et blanc et couleur, entre De Gaulle et Cohn-Bendit, entre cinéma et télévision, entre années 50 et années 70.
Doc promotionnelle pour le film ANNA, Iéna Shop Information, Japon