Le Cinéma de ma jeunesse
[Cinéphiles de notre temps 1945-1995]
Par Laurent Chollet
Editions : Hors Collection avec France Inter
La lumière s’éteint déjà par Jean SEGURA
Un livre sur la cinéphilie d’après-guerre
La génération des baby-boomers n’a pas connu la deuxième Guerre Mondiale in vivo ; elle ne l’a traversée qu’à travers les morceaux de bravoure enjolivés par Hollywood et quelques reconstitutions néo-réalistes de René Clément ou de Jean-Paul Le Chanois. Car à partir des années 1950, le cinéma – un demi-siècle d’existence - était tout à la fois notre distraction favorite et une fenêtre ouverte sur un monde idéalisé.
Comme des millions de jeunes Français, j’ai profité de l’abondance des salles de mon quartier, ces « kiosques permanents » pour des films venus de France et de Navarre, mais essentiellement façonnés par la machine à rêves de l’Amérique d’après-guerre : Hollywood ! « On va au cinoche ! – Ouais on va se faire une toile ! » Nous découvrions les grands espaces, les gratte-ciels, les voitures rutilantes et les stars glamour, demi-dieux descendus de l’Olympe du 7e art : Gary Cooper, Elizabeth Taylor, John Wayne, Natalie Wood, Victor Mature, Grace Kelly, Burt Lancaster, Ava Gardner, Henry Fonda, Kirk Douglas, Rock Hudson, j’en passe bien sûr !
EN FEUILLETANT LE LIVRE...
Velours rouge et rideau plissé
La salle de cinéma de mes souvenirs sent encore l’odeur du vieux velours avec ses murs tapissés des portraits Harcourt de Jean Marais, Françoise Arnoul, Gérard Philipe, Brigitte Bardot, Martine Carol, Louis Jouvet,… Sans trop faire d’effort, je respire encore les friandises de l’entracte extraites de leur panier par les ouvreuses contre un peu de monnaie : « tu prends un esquimau ? j’en veux un au chocolat ». Mais me revient surtout cette délicieuse impatience lorsque la lumière de la salle faiblissait dans la rumeur des « chuts ! » qui faisaient plus de bruit que la musique du générique. Des lettres d’or ou écarlates s’imprimaient soudain sur un rideau plissé bien trop paresseux à s’effacer devant le grand film qui commençait enfin …
Toute une atmosphère qu’il serait bien difficile de retrouver dans les multiplexes d’aujourd’hui où l’on n’entend que des téléphones portables mal éteints, baigné dans les effluves rances du pop-corn. Tel un film à remonter le temps, Laurent Chollet donne à revivre ce passé dans Le Cinéma de ma jeunesse.
Disparues depuis bientôt trente ans, les façades aguichantes des cinémas de notre enfance et de notre adolescence s’étalent avec tout leur décorum : toiles peintes de Publidécor, affiches et photos d’exploitation, ou un programme imprimé comme un beau livre, précieuse récompense que l’on feuilletait une fois rentrés à la maison. Car nous n’avions ni magnétoscope, ni DVD, ni Internet pour se rejouer le film.
Hollywood chef d’orchestre du cinéma de genre
Un film c’est aussi des scénaristes et des réalisateurs qui nous transportent aux quatre coins du monde, nous propulsent dans l’espace ou nous font revivre les pages d’un passé plein de fantaisie et de légendes. Le Cinéma de ma jeunesse explore les genres cinématographiques : policier, guerre, aventures exotiques ou médiévales, science fiction… Et les genres s’affranchissent des frontières : western traditionnel ou spaghetti, péplums hollywoodien et italien, films de cape et d’épée à la française et films karaté de Hong Kong, films d’horreur aux « couleurs » britanniques de la Hammer ou italiens signés Mario Bava ou Riccardo Freda.
Laurent Chollet revisite tous ces genres et dresse l’inventaire des personnages récurrents : James Bond, Angélique, Indiana Jones, La Guerre des étoiles, Superman, Les Charlots, (était-ce bien nécessaire ?), Le Grand Blond (il en faut pour tout le monde !), l’Inspecteur Clint « Harry » Eastwood.
Et encore pêle-mêle: les magazines populaires Cinémonde, Ciné-Revue, Première, Starfix, Laurel et Hardy, Autant en emporte le vent, Humphrey Bogart, Walt Disney, les acteurs du doublage, Jerry Lewis et Dean Martin, la musique de film, Don Camillo et Peppone, le ciné-roman, les Marx Brothers, le cinéma à la télévision, les comédies désolantes françaises et le cinéma érotique des années 1970…jusqu’à l’âge crépusculaire de la Dernière Séance d’Eddy Mitchell, du Nouvel Hollywood, des vidéo clubs et des derniers héros musclés (Schwarzy, Stallone…).
Les Intellos font leurs lois !
Mais si la croissance économique des pays occidentaux d’après guerre, dopée par le plan Marshall, s’accompagne d’un raz-de-marée de films populaires, elle autorise aussi l’émergence de cinémas alternatifs et/ou indépendants dont la Nouvelle vague en France est l’exemple le plus proche. Quelles en sont les racines ?
Phénomène culturel, le cinéma ? Laurent Chollet revisite le travail souterrain des cinéclubs, des projections ambulantes et du circuit des salles « Art et Essai ». Il fait « renaître » la presse pédagogique, Ciné-Club, Film et famille, Image et son, Films et Documents ; et rappelle à quel point les intellectuels forment des « clans » ferraillant entre eux à travers leurs revues respectives : L’Ecran français, St Cinéma des Prés, La Revue du Cinéma, Positif,Cinéma, Midi-Minuit Fantastique.
Ces cinéphiles « professionnels » se retrouvent par affinité dans leurs salles privilégiées : Mac-Mahon, studio Parnasse ; salle de projection de la Cinémathèque au 7 rue de Messine (depuis 1948) transférée en 1955 au 29 de la rue d’Ulm.
Dans la bande des « jeunes turcs » des Cahiers du Cinéma, François Truffaut, assidu du Club du Faubourg de Léo Poldès et rédacteur dans la revue Arts, publie dans le n° 31 de janvier 1954 « Une certaine tendance du cinéma français », acte fondateur de la « Nouvelle vague » : les Claude Chabrol, Jacques Rivette, Jean-Luc Godard, Maurice Schérer (Eric Rohmer) et Truffaut passent de la critique à la réalisation.
Le Cinéma de ma jeunesse nous fait revivre des légendes cinéphiliques de l’après-guerre : celle pro-américaine de Pierre Rissient et de sa bande des « Mac-Mahoniens » adorateurs de Fritz Lang, Howard Hawks, Otto Preminger et Raoul Walsh ; celle de Bertrand Tavernier avec son groupe Nickel-Odéon et de leurs « safaris cinéphiles » en Belgique ; ou encore celle plus solitaire de René Chateau, autodidacte du 7e art, passé de la défense du cinéma traditionnel français à l’engouement pour le maître du kung-fu Bruce Lee.
Laurent Chollet rend enfin hommage à l’exception culturelle de la Cinémathèque française fondée en 1936 par Henri Langlois que Jean Cocteau désignait par «ce dragon qui veille sur nos trésors».
Le générique de fin s’achève, le rideau se referme, Le Cinéma de ma jeunesse garde la mémoire de cette parenthèse enchantée.
Jean SEGURA
Le Cinéma de ma jeunesse [ Cinéphiles de notre temps 1945-1995 ]
Auteur : Laurent Chollet avec la collaboration de Philippe Lombard et Armelle Leroy -
Editions : Hors Collection avec France Inter – 175 pp – 29 euros.
Doubles pages pour un deuxième tome ?
On se plait à rêver d’un deuxième tome du Cinéma de ma jeunesse pour couvrir les sujets malheureusement – faute de place - non traités dans cet ouvrage :
les grands réalisateurs de la comédie à l’italienne et le phénomène des paparazzis si bien évoqués dans La Dolce Vita de Frederico Fellini ;
la comédie musicale américaine : Vincente Minelli et Stanley Donnen, West Side Story, de Broadway à Hollywood ;
le cinéma britannique d’après guerre avec les comédies noires des Studios Ealing (Noblesse Oblige, Tueurs de dames) et celui des « jeunes gens en colère », the Young Angry Men : Tony Richardson, Karel Reisz, Lindsay Anderson, Clive Donner, Richard Lester ;
deux Anglais à Hollywood : Charlie Chaplin et Alfred Hitchcock ;
le renouveau des cinémas scandinave (Ingmar Bergman, Bo Widerberg, Carl Dreyer…) et soviétique (Mikhaïl Kalatozov, Sergei Bondartchouk, Andreï Tarkovski) ;
la résistance créative de l’autre côté du rideau de fer : Pologne (Vajda, Kawalerowicz, Skolimowski, Polanski, Borowczyk), Hongrie (Miklos Jancso), Tchécoslovaquie (Milos Forman, Jiri Menzel, Ivan Passer) ;
les luttes révolutionnaires au sein des dictatures latino-américaines : Brésil (Glauber Rocha, Ruy Guerra), Argentine (Fernando Solanas, Hugo Santiago), Chili (Raoul Ruiz) ;
les grands maîtres classiques du Japon : Akira Kurosawa, Kenji Mizoguchi, Yasushiro Ozu, Kaneto Shindo (L’île nue, Onibaba), Teinosuke Kinugasa (La Porte de l’enfer), Masaki Kobayashi (Hara-kiri, Kwaidan), Hiroshi Teshigahara (La Femme des sables), Nagisa Oshima ;
le cinéma de fantaisie avec les créatures et trucages de l’américain Ray Harryhausen ;
l’univers fantastique d’Ishirô Honda et les monstres de la Toho : Godzilla, Mothra, Rodan,…
le Festival de Cannes, mythe du star système, ses Palmes d’or et ses starlettes, et les autres festivals : Berlin, Venise, Deauville. Etc
Du même auteur voir également
Le coffret DVD : Cinéphiles de notre temps
(1942-2012)
Une série documentaire de Laurent Chollet
Le Cinéma de notre jeunesse raconté par Eddy Mitchell
Un Coffret 5 DVD + 1 CD : les 6 heures de la série documentaire en version 120’ – « L’écran, c’était la vie (1942-1954) » ; « Prochainement sur cet écran (1955-1959) » & « D’un écran l’autre (1960-2012) » – + 9 heures de bonus + la BO inédite de la série – coédité par Potemkine / M6 Video / INA / Scérén (CNDP-CRDP) / France Inter (distribué par Warner Home Video) – en partenariat avec Ciné+ / Ciné+ Classic / Le Monde / Paris Première / CNC / Cineteca Bologna / Musée national du cinéma de Turin / Région Aquitaine / Ecla / Conseil général de la Dordogne / Ciné Passion en Périgord.
Le découpage de la version DVD de 3 x 120 mn est :
« L’écran, c’était la vie ! (1942-1954) »
« Prochainement sur cet écran ! (1955-1959) »
« D’un écran l’autre ! (1960-2012) »
Le découpage de la version TV de 6 X 60 mn est :
« Le cinéma est à nous ! (1942-1949) »
« L’écran, c’était la vie ! (1950-1954) »
« Prochainement sur cet écran ! (1955-1956) »
« Charlton Heston est un axiome ! (1957-59) »
« Hollywood... nous voilà ! (1960-1964) »
« D’un écran l’autre ! (1965-2012) »
Communiqué
Guetter une projection dans une « salle de quartier », fréquenter les ciné-clubs, décortiquer les revues de cinéma... telles furent quelques-unes des passions populaires bien françaises, communes à toutes les générations, manifestations de notre amour irrépressible pour le cinéma, les auteurs et réalisateurs, les acteurs, les techniciens... et les salles obscures.
À l’heure du satellite, du dvd et de la vod... Que reste-t-il de nos amours ? De ces traditions ? De ces rituels ? De ces « lieux de mémoire » ? Que reste-t-il de la passion de quelques érudits... mais aussi et surtout de celle d’une majorité de Français ?
La cinéphilie : une histoire d'amitiés et de « bandes », d'influences et de filiations, racontée dans ce coffret unique par tous les « passeurs de cinéma » et autres « ciné-fils » qui en furent les artisans et les témoins privilégiés.