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Boris Grinsson

Boris Grinsson

Par Jean Segura
Stanislas Choko Collection

 

BORIS GRINSSON, l'homme aux 2000 affiches 

J'ai rencontré Grinsson pour la première fois le 20 juin 1998 quelques jours avant l'exposition « Boris Grinsson, des affiches et des toiles » rétrospective consacrée par Stanislas Choko et la Galerie Intemporelle à Melun, un an avant sa disparition.

Il m'a reçu chez lui, dans sa petite maison où il vivait seul depuis la disparition sa femme, à Veneux-les Sablons près de Fontainebleau.

Pendant près de deux heures, cet homme affable et modeste s'est confié, racontant sa longue vie et dévoilant ses souvenirs, me montrant son portrait, alors jeune homme, peint par Hélène Cosson pendant la guerre. Quel chemin parcouru par cet artiste venu de l'Est né en 1907 qui nous a laissé un patrimoine de plus de 2000 affiches.

 

Boris Grinsson

 © Jean Segura

Boris Grinsson chez lui le 20 juin 1998 à Veneux-les Sablons (Seine-et-Marne),
posant devant le portrait qu'Hélène Cosson a fait de lui en 1940 pendant l'occupation.

Lors de la préparation de cette exposition, il pressentait sans doute que ce serait le dernier hommage qu'on lui rendrait : il avait 91 ans, un âge où les jours sont naturellement comptés.

De cette rencontre chaleureuse et émouvante j'ai rédigé un article pour Libération (voir ci-dessous).

Au vernissage de l'Espace Saint-Jean à Melun, le samedi 4 juillet suivant, Grinsson, ému et heureux était entouré d'admirateurs, de collectionneurs et de quelques anciens collègues parmi lesquels Constantin Belinsky et Jean Mascii. À la fin du cocktail, je leur ai demandé de se prêter aimablement à une séance photo sur fond de l'affiche de Sur les quais .

Quel plaisir et quelle chance d'avoir pu réunir et immortaliser sur une seule image ces maîtres de l'affiche - aujourd'hui tous les trois disparus.

J'ai « retrouvé » une dernière fois Grinsson lorsque Stanislas Choko m'a fait l'honneur en 2005 d'être l'auteur de sa biographie, alors qu'il préparait sa collection de livres sur les affiches de cinéma.

Ainsi le grand affichiste revit encore à travers cet ouvrage richement illustré qui permettra aux amateurs comme aux néophytes d'en découvrir chronologiquement l'oeuvre éclectique et colorée.

Jean Segura

 

 

Boris Grinsson
© Jean Segura

Samedi 4 juillet 1998, Inauguration de l'exposition Grinsson, Espace Saint-Jean à Melun (Seine-et-Marne) :
trio des vétérans posant devant l'affiche de 240 x 160 Sur les quais :
de gauche à droite : Jean Mascii, Boris Grinsson et Constantin Belinsky.

 

Boris Grinsson

 

 

Résumé du livre

Quarante ans d'affiches de cinéma

D'origine russe, Boris Grinsson (1907-1999) a traversé un siècle de cinéma, commençant à travailler dans l'Allemagne prénazie avant de s'installer définitivement en France à partir de 1933 jusqu'en 1972. Il va dès lors dessiner plus de 2000 affiches, travaillant principalement pour les majors américaines, mais également pour de nombreux studios et distributeurs français et européens. Il laisse une oeuvre artistique variée maîtrisant aussi bien l'académisme, la caricature que la composition géométrique, appliqués à tous les genres cinématographiques. On lui doit les plus beaux portraits des déesses du 7 ème Art, Rita Hayworth, Veronica Lake, Marilyn Monroe, Martine Carol ou Brigitte Bardot, et de très belles séries d'affiches sur Laurel et Hardy, les Marx Brothers ou Jerry Lewis.

 

Boris Grinsson

 

 

 

Rétrospective d'un grand affichiste de cinéma d'avant et d'après guerre

(Une version de cet article a été publiée dans Libération en août 1998)  

 

Le facteur sonne toujours deux fois , Gilda , Le jour où la terre s'arrêta , Les sept mercenaires , Les quatre cents coups , etc. Ce sont là quelques-unes des deux mille images hautes en couleurs que Boris Grinsson, affichiste de cinéma, aura laissées au cours d'une longue carrière qui s'étend de 1929 à 1973. Dans les rues, le métro ou à l'entrée des cinémas, ces affiches étaient là pour attirer notre regard et nous donner envie de nous engouffrer dans les salles obscures.

Aujourd'hui, paisible nonagénaire, le graphiste du Beau Serge et de Hiroshima mon amour continue de peindre pour lui-même dans sa maison près de Fontainebleau. Jusqu'au 29 août, la ville de Melun (avec le concours de la Galerie Intemporel à Paris) lui rend hommage en exposant un échantillon hélas limité de ses affiches et maquettes (dont Cape et poignard, La dame de Shanghai, Les désaxés, L'homme qui en savait trop ou La soif du mal et quelques cinquante autres pièces dont un portrait de Rita Hayworth) ainsi qu'une trentaine de ses tableaux "figuratifs stylisés" comme il les décrit lui-même et dont les prix s'échelonnent entre 4000 et 16000 francs. ("Boris Grinsson, des affiches et des toiles" jusqu'au 29 août, Espace Saint-Jean, 26 place Saint-Jean, 77000 Melun. Tél : 01 64 52 10 95).

Né à Pskov en Russie en 1907, Boris Grinsson aura traversé un siècle d'histoire et de cinéma. Fuyant la révolution bolchévique, sa famille erre entre la Finlande et les pays baltes avant de se fixer en Estonie. C'est là qu'après le lycée, le jeune Boris commence des études à l'Ecole des Beaux-Arts de Tartu. Ne trouvant pas de débouchés dans ce trop petit pays, Grinsson part en 1929 pour Berlin "où l'art graphique y était en pleine explosion". Là il se perfectionne à l'Ecole des Arts Appliqués. L'Allemagne pré-nazie est en pleine crise économique, et le jeune dessinateur doit se débrouiller par des petits boulots comme celui de figurant dans les studios de l'UFA à Babelsberg. Si Grinsson ne fera jamais la carrière d'acteur à laquelle il avait un moment songé, le cinéma lui donnera pourtant du travail pendant plus de quarante ans. En devenant d'abord l'assistant d'un affichiste d'origine lettone puis par la suite à son compte, Grinsson commence à dessiner des affiches pour les compagnies américaines comme MGM, Paramount et Universal.

Les maquettes étaient dessinées à partir de photos du film ou bien de l'affiche originale. "Nous n'assistions à la projection du film que si nous en avions le temps se souvient Boris Grinsson, car les délais étaient très courts et il fallait parfois travailler près de quinze heures par jour". Mais l'histoire va encore dévier la route du jeune graphiste lorsque en pleine campagne électorale de 1932, il réalise sur commande une affiche anti-nazie : "inspiré par le peintre Reitel, j'ai dessiné la Mort avec les traits d'Hitler et la croix gammée en guise de faux". Une fois arrivés au pouvoir, les nazis, furieux, font rechercher l'auteur de cette virulente caricature et Grinsson doit rapidement fuir l'Allemagne. C'est ainsi qu'il débarque à Paris avec sa jeune femme allemande un 26 juin 1933. "Heureusement j'avais emporté quelques maquettes avec moi que je pouvais présenter aux mêmes compagnies pour lesquelles j'avais déjà travaillé à Berlin". Grinsson peut donc repartir d'un bon pied, sauf qu'il a fallu se familiariser avec la lithographie, technique alors employée en France pour la fabrication des affiches (et qui le sera jusqu'au début des années 60) alors qu'en Allemagne on utilisait déjà l'offset, plus commode mais moins belle aux yeux des puristes. Pendant quarante ans, l'artiste russe, définivement installé en France, va alors produire des affiches pour presque tous les grands distributeurs américains, comme Universal, MGM, Paramount, Columbia, RKO, Warner ou Fox, et européens comme Pathé, Gaumont ou ACE (filiale de l'UFA). Une seule parenthèse, la période de la guerre qui l'oblige a se cacher à Chateauroux où il gagne sa vie en peignant des décors de dancing et de restaurant et des portraits.

Boris Grinsson aura fait partie de cette génération de graphistes, qui comme Roger Soubie, Constantin Belinsky (un autre russe), Jean Mascii et bien d'autres ont su faire saliver le public par des affiches souvent multicolores, oeuvres populaires et faciles d'accès apportant leur vision, parfois naïve, du film à illustrer. Il leur fallait aussi un talent de portraitiste pour restituer sans les trahir les traits des acteurs. L'utilisation de plus en plus fréquente des montages photo et le passage à l'offset dans les années 60-70 aura marqué d'une certaine manière le déclin de cette génération. Les affiches de Grinsson et de ses congénères représentent aujourd'hui une oeuvre qu'on pourait qualifier de "cinégraphique", patrimoine indissociable des oeuvres cinématographiques pour lesquelles elles ont été créées.

Jean SEGURA

 

En feuilletant le livre...

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Le « compliment » de Roger Soubie

Boris Grinsson

Affable, Grinsson a de bonnes relations avec ses collègues, surtout Morvan et Rojac, qu'il apprécie. Il aime bien Roger Soubie, son « bon copain », quoique ce dernier l'impressionne. Un jour de 1947, au bureau de la MGM , il retrouve Soubie qui contemple une affiche que lui, Grinsson, vient de terminer. C'est Le Facteur sonne toujours deux fois de Tay Garnett d'après le roman de James Cain. Lana Turner, sex symbol des années 40, est en soutien-gorge de satin, enlacée dans les bras fermes de John Garfield, leurs regards coupables se croisent à peine. L'étreinte des deux amants, lumineuse, tranche sur un fond bleu-noir, imprécis et tragique.

Grinsson regarde son collègue, se demandant bien à quelle sauce il va être mangé, car il n'est pas encore assez sûr de lui. «  Soubie était un garçon un peu rude, un vrai parigot qui, à l'âge de 17 ans, était parti volontaire pendant la première guerre mondiale. Il avait conservé cette allure d'ancien combattant, et puis il avait une dizaine d'années de plus que moi  » raconte Grinsson dans ses souvenirs. Alors soudain Soubie se tourne vers son cadet et de son air bourru lui dit :

- « Mon vieux, tu es foutu  ! »
- « Et pourquoi ?  » demande Grinsson, surpris.
- « Parce que jamais plus tu n'en feras une aussi belle ! » rétorque Soubie.
- « C'était sa manière de vous faire un compliment » conclut Grinsson.

J.S.

 

Boris Grinsson

 

Boris Grinsson par Jean Segura
Affiches de Cinema - Movies Posters
128 pages couleur, 17,5 x 24,5 cm , 29€
Stanislas Choko Collection

Intemporel
22 rue Saint-Martin
75004 Paris
+33(01) 42 72 55 41

info@intemporel.com

www.intemporel.com

Intemporel

 

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