Comme on le sait, le restaurant américain de soul food Haynes, rue Clauzel à Paris, a fermé ses portes en 2009 après soixante ans d’une vie de légende où se croisés les premiers GI’s de l’après guerre, écrivains, jazzmen, acteurs américains et autres people du monde de la nuit.
Personnage effacé dans cette légende, Gabby, première épouse française de Leroy Haynes (1914 – 1986), fut aussi celle qui l’accompagna et le seconda dès le début de l’aventure culinaire parisienne de l’ancien diplômé en sociologie ex-Warrant Officer de l’US Army. C’est avec Gabby que Leroy va en effet créer en 1949 son premier restaurant, celui-ci situé au 7 rue Manuel, à Paris 9e.
Gabrielle Lecarbonnier dit « Gabby », née à Cherbourg le 5 juillet 1928, arrive à l’âge de 21 ans à Paris où elle trouve du travail dans un magasin de broderie. Elle habite alors au 7 de la rue Clauzel dans le 9ème arrondissement, entre Pigalle et Saint-Georges. La jeune femme ramène souvent de l’ouvrage à la maison et, pour capter la lumière, s’installe près de la fenêtre sur rue au premier étage de son immeuble. Elle aime y chantonner tout en brodant.
Leroy Howard Milton Haynes, afro-américain fraîchement démobilisé de son unité en Allemagne, est tombé amoureux de Paris. Il ne connaît pas le français mais comprend qu’il fait meilleur vivre en terre gauloise que de retourner dans son vieux Sud natal où sévissent racisme et ségrégation. Leroy voudrait pouvoir poursuivre à la Sorbonne des études de sociologie commencées à Atlanta ; et s’installe dans un hôtel de la rue Clauzel, tout près de chez Gabby. Il fait chaud l’été et le soir, Leroy garde sa fenêtre ouverte. Il finit bien sûr par entendre le chant montmartrois de sa voisine. Quel est cet oiseau charmeur, et où se cache-t-il ? La rue Clauzel n’est pas si longue, et Leroy découvre bientôt la dentellière chantant à sa fenêtre. Roméo a-t-il trouvé sa Juliette ? Le contact est facile dans le Paris d’après-guerre, les voisins de bohème font connaissance et se rendent de petits services. Leroy trouve un prétexte pour fréquenter sa voisine en lui apportant des travaux de couture : quelques vêtements sur lesquels elle va broder les initiales L.H. Puis un jour, à cours de vêtements sans doute, il lui apporte … des bocaux avec des cornichons frais à mettre en conserve. La « cuisine » des langues prend le relais. Il ne parle que l’anglais et elle pas un mot de la langue d’Hemingway. Une année passe avant qu’ils ne deviennent amants puis bientôt époux. L’aventure du restaurant de la rue Manuel commence en 1949 (voir article Chez Haynes : 60 ans d'un Américain à Paris). Des débuts difficiles, mais le courage ne manque pas : Haynes et Gabby assurent un service non-stop à l’américaine, matin, midi et soir.
Taverne parisienne pour jazzmen afro-américains
Après avoir fait la promotion de son restaurant dans les bars de Pigalle et aux Halles, en attirant notamment des militaires de l’OTAN, Leroy recrute sa clientèle à la sortie des spectacles. Gabby se souvient des tablées formées par les artistes et musiciens venus du théâtre de l’Empire où, dès février 1953, l’on produit Porgy and Bess, l'opéra de George Gershwin avec en vedette de la tournée, Cab Calloway.
Il puis il y a des rabatteurs, ces gens plus ou moins discrets qui à la sortie des cabarets, des hôtels et des salles de spectacle font la retape des lieux de plaisir et de réjouissance à ne pas manquer dans la capitale, surtout lorsque l’on traîne du côté de Pigalle et de Montmartre. Le plus emblématique de ces rabatteurs est sans doute le photographe afro-américain Eddy Wiggins (1904-1989).
Né à New-Orleans, Wiggins est venu en France pendant l'entre-deux-guerres et habite au 11 bis rue Mansart dans le 9e arrondissement à moins de dix minutes à pied de la rue Manuel. Dans l’ouvrage biographique Eddy Wiggins Le Noir et le Blanc qui lui est consacré, Gilles Leroy (prix Goncourt 2007 avec le roman Alabama Song) raconte l'itinéraire singulier de ce natif des rives du Mississippi, compatriote contemporain de Leroy Haynes, correspondant du Chicago Defender, et mort en solitaire à Paris totalement oublié(1).
Des stars du jazz, il va en défiler : Louis Armstrong, écourtant la fin d’un concert pour aller avaler un plat de haricots rouges, Lionel Hampton, né dans le Kentucky, improvisant sur scène des paroles louant la « southern food » de Gabby et Haynes ; et puis Thelonious Monk, Duke Ellington, Dizzie Gillespie, Mezz Mezzrow (2) ou encore Memphis Slim, l'habitué des lieux, qui s’installe définitivement à Paris à partir de 1962. Initiés par ces jazzmen, des acteurs venus d’outre-Atlantique découvrent à leur tour ce lopain de terre du "Old South" en plein Paris. Sur le mur derrière le bar, n’est-ce pas une photo de Jackie Gleason avec Gene Kelly que Leroy semble traiter comme de vieux amis ? Les écrivains noirs américains prennent à leur tour table rue Manuel, comme Richard Wright (3) , James Baldwin ou Chester Himes.
Eddy A. Wiggins (4) (voir plus haut), Jean-Philippe Charbonnier (5) , d’autres photographes anonymes immortalisent ces moments de liberté et de détente que les stars partagent avec Haynes et Gabby.
2. Milton « Mezz » Mezzrow dont l’autobiographie, Really The Blues, a été traduite en 1950 par Marcel Duhamel sous le titre La rage de vivre.
3. Richard Wright (1908-1960), écrivain né en Louisiane, auteur de Un enfant du pays et de Black Boy, résidant à Paris.
4. Eddy Wiggins : Le noir et le blanc – Gilles Leroy, Didier Arthaud et Jean-Michel Boris (Postface) - Ed Naïve, 2010.
5. Jean-Philippe Charbonnier, photographe, auteur de Un Photographe Vous Parle - Ed Grasset, 1961
Il y a ces images inattendues de stars d’Hollywood que le hasard du calendrier va réunir au début des années 1960. Paris Blues le film du réalisateur américain Martin Ritt, est tourné en extérieurs dans la capitale : c’est l’histoire de deux jazzmen, Sidney Poitier et Paul Newman, jouant dans un club de Saint-Germain des Prés, qui vont vivre une idylle avec Diahann Carroll et Joanne Woodward (6) incarnant deux Américaines en vacances. Egalement à l’affiche de Paris Blues, Louis Armstrong, seul musicien star dans la vie réelle, Serge Reggiani en avatar de Django Reinhardt et le batteur français François-Alexandre Galepides plus connu sous le nom de Moustache.
Dans un Paris de carte postale d’un très beau noir et blanc, les personnages déambulent à Montmartre (rue Lepic, rue Saint-Vincent, marches du Sacré-Cœur), et sur la rive droite des bords de Seine (avant la construction de la voie Georges Pompidou) près de l’ancien Pont de l’Alma (7) et derrière Notre-Dame ; les personnages naviguent sur un bateau-mouche, prennent un train dans la gare Saint-Lazare, point de liaison ferroviaire avec les bateaux des lignes transatlantique à quai au Havre. Les scènes de plateau sont tournées dans des décors d’Alexandre Trauner aux Studios de Boulogne-Billancourt, et la bande son et le doublage traités aux Studios Barclay Hoche.
6. Joanne Woodward, actrice américaine, épouse à la ville de Paul Newman.
7. Le Pont de l’Alma, construit en 1856, avec ses quatre statues dont il ne reste aujourd’hui que le Zouave et remplacé en 1974 par le pont moderne actuel.
Dans ses souvenirs, le chanteur français Eddy Mitchell (alors avec son groupe de musiciens, futures Chaussettes noires) raconte qu’arrivant pour la première fois dans ces même studios Hoche le 20 décembre 1960 (8) , il tomba boom nez à nez avec Louis Armstrong, Duke Ellington (compositeur de la bande son du film) et Quincy Jones ; puis au détour d’un couloir il croisa encore Paul Newman avec son épouse Joanne Woodward ! Les stars venaient travailler sur Paris Blues bien sûr ! Quelles rencontres pour le jeune rockeur français de dix-huit piges que de se retrouver face à de telles pointures du jazz, et… pour le fan de westerns, futur animateur de l'émission télé La Dernière Séance (9), d’avoir rencontré Paul Newman, le « Gaucher » en personne (10).
Mais ce qu’Eddy Claude Moine ignore sans doute, c’est qu’un second film américain est simultanément en production à Boulogne : Aimez-vous Brahms ? d’Anatole Litvak, tiré du roman de Françoise Sagan, avec Ingrid Bergman, Anthony Perkins et Yves Montand dans les rôles principaux, mais aussi avec Diahann Carrol, dans celui d'une chanteuse de jazz. L'actrice afro-américaine figure ainsi simultanément dans la distribution des deux films : Aimez-vous Brahms ?et Paris Blues. Entre les prises ou pendant les pauses, les acteurs américains ne doivent pas manquer de se croiser d’un plateau à l’autre. Ce qui est sûr c’est qu’ils se retrouvent certains soirs pour se raconter des histoires de vicomtes. Tuyau de Louis Armstrong (« allez-y de ma part ! »), ou plan de Sidney Poitier (qui connaissait déjà le restaurant américain de Gabby et Haynes), toujours est-il que Newman et Perkins vont se retrouver tour à tour avec Poitier attablés ensemble en plein Pigalle. Un photographe - Wiggins ? - est là les deux soirs pour immortaliser sourires, rires et grimaces des trois stars.
8. Le 20 décembre 1960, Claude Moine, alias « Schmoll » et qui va prendre le nom de scène d’Eddy Mitchell, enregistre son premier disque avec les Chaussettes Noires (Tu parles trop, Si seulement, Be bop a lula, Tant pis pour toi) aux Studios Barclay Hoche.
9. La Dernière séance, émission de télévision mensuelle produite et réalisée par Gérard Jourd’hui, fut programmée sur FR3 (puis France 3) du 19 janvier 1982 au 28 décembre 1998. Conçue avec le concours de Patrick Brion, La Dernière séance était consacrée au cinéma américain avec la diffusion de films de genre (western, fantastique, comédie musicale, aventure, cape et épée, guerre, etc ) présentés par Eddy Mitchell dans d’authentiques salles de cinéma, alors encore dans leur "jus" des années 1950-60.
10. En 1960, Paul Newman (1925-2008) a 35 ans et déjà plus que la carrière d’un simple jeune premier, enchaînant les grands rôles sur des films de qualité : Marqué par la haine (Somebody Up There Likes Me) de Robert Wise (sorti en France en 1957), Les Feux de l’été (The Long, Hot Summer) de Martin Ritt (1958) sur le tournage duquel il rencontre Joanne Woodward qu’il épouse la même année, Le Gaucher (The Left Handed Gun), western moderne d’Arthur Penn distribué en France le 24 septembre 1958 et La Chatte sur un toit brûlant (Cat on a Hot Tin Roof) de Richard Brooks (1958) d’après Tennessee Williams, avec Elizabeth Taylor comme partenaire. Il tournera à la même période Exodus (1960) d’Otto Preminger et L’Arnaqueur (The Hustler)de Robert Rossen, chef-d’œuvre du film noir sorti en 1961, qui consacrent l’un et l’autre son statut de star. Paris Blues de Martin Ritt, film considéré comme mineur dans sa carrière, date aussi de cette période et sort en 1962. Avec Ritt il enchainera avec Le plus sauvage d'entre tous (Hud), 1963, puis Hombre, 1967.
Malgré le départ de Haynes, Gabby reste ancrée dans cet univers totalement étranger au sien lorsqu’elle débarqua de sa Normandie natale. Plus tard, c’est Richard, le fils qu’elle a eu avec Leroy, qui passera aux fourneaux à la place de son père pour cuisiner les spare ribs et le fried chicken. Gabby introduit aussi quelques recettes francisées comme son fameux beefsteak saignant qu’elle achète elle-même dans une boucherie au bas de la rue des Martyrs.
Avec le temps les murs du restaurant de la rue Manuel se tapissent des photos du passage des artistes, même si Leroy en a emportées quelques unes qu’on retrouve quelques années plus tard dans son nouveau restaurant de la rue Clauzel.
Jean-Christophe Averty, homme de radio et de télévision, jazzophile boulimique, a eu vent de ces lieux magiques et devient un habitué des deux places ; avec, selon Gabby, une préférence pour la rue Manuel, « l’original ». La légende est tenace, les anciens persistent et de nouveaux venus fréquentent à leur tour les lieux comme en témoignent quelques photos en noir et blanc ou en couleur prises avec Gabby seule : Count Basie, Sammy Davis Jr, Stevie Wonder.
Le cadre authentique du petit univers américano-parisien devient un décor de caractère dans l’un des épisodes de la série Maigret pour la télévision française, avec à l’époque Jean Richard dans le rôle titre. C’est ainsi que Gabby se retrouve face à la caméra dans Les Scrupules de Maigret de Jean-Louis Muller avec Valérie Lagrange et Michel Robin (tournage 8 et 9 juin 1976, première diffusion sur Antenne 2, le 27 novembre 1976).
Au milieu des années 1980, Gabrielle Lecarbonnier va définitivement raccrocher son tablier et éteindre ses fourneaux ; laissant seul le restaurant de la rue Clauzel continuer, jusqu’en 2009, la légende de ce que fut ce lieu unique, le premier et peut-être le seul restaurant américain de soul food en France. Gabby, oubliée, est retournée dans l’ombre, celle que Leroy Haynes aura porté involontairement sur elle avec le temps. Elle coule, à l'heure où nous écrivons ces lignes, une retraite modeste dans le sud de la France, près de son fils Richard. Nous espérons, avec cet hommage, remettre en lumière une belle personne, modeste et généreuse. Gabby oh Gabby !
Eddy Wiggins : Le noir et le blanc Gilles Leroy, Didier Arthaud et Jean-Michel Boris (Postface) Ed Naïve, 2010.
Présentation de l'éditeur
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Gilles Leroy, prix Goncourt 2007, s'est placé au plus près, scrutant les 130 photos inédites de ce livre pour dessiner en creux, le portrait d'Eddy Wiggins, photographe resté dans l'ombre des lumières du music-hall. Amoureux des nuits de fête de la rive droite, Eddy Wiggins a couvert de son regard malicieux les années 1950 et 1960 à Paris. Caché derrière son Rolleiflex 6x6, il a photographié Louis Armstrong, Count Basie, Ray Charles, Dizzie Gillespie... aussi bien que Joséphine Baker, Dalida, Johnny Hallyday ou Jean Cocteau, Jean Renoir et Gina Lollobrigida. Ces clichés pris en confiance avec les artistes, souvent dans les coulisses de l'Olympia, sont autant de témoignages d'une époque, d'une atmosphère, celle de la liberté qui régnait dans le milieu du jazz à Paris, celle des couples amoureux en noir et blanc.
Nous reproduisons ici quelques extraits du texte de Gilles Leroy qui raconte les relations que le photographe entretenait avec le restaurant de son ami Leroy Haynes.
« En 1954, l’Olympia ouvre ses portes. C’est le début d’un période effervescence pour le Music-Hall parisien ; Wiggins devient le photographe des grands noms du jazz, et dans une moindre mesure, de la variété française.
« On découvre à travers ses photos ce que fut vraiment le music-hall français de l’époque, et tout particulièrement l’Olympia, lieu de rencontres et de cross-over (…) Dalida (…) parmi les Platters ; Johnny Hallyday (…) sortant du Mars Club ; Nicole Croisille chattant avec Lucy Thomson. (…).
« Les piges payaient-elles si mal ? On le dirait. Dans l’après-guerre, Eddy Wiggins se fait discret dans les journaux de son pays et cesse sa collaboration avec le Chigago Defender (…).
La photo ne nourrissant pas son homme, Wiggins doit trouver d’autres moyens pour gagner sa vie (NDLR).
« Son second job, moins avouable sans être tout à fait honteux, porte un nom assez vilain : rabatteur. Depuis l’Olympia, la salle Pleyel ou le théâtre des Champs-Elysées, une fois le concert terminé, Eddy rabat les vedettes du jazz vers les bars de nuit de la rive droite. Des lieux pour dîner, rire et boire – boire surtout – , avec son entourage, les musiciens, la famille, les amis, entourage vite élargi à une cour aléatoire de groupies et de rencontres d’un soir (…).
« Parmi les endroits dont il fait la retape, on compte quelques hauts lieux de la nuit des années 1950 à 1970 et tout particulièrement trois restaurants-clubs qui s’adressaient aux expatriés américains, les bohèmes comme les riches hommes d’affaires : La Calvados, avenue Pierre 1er de Serbie (…), le Mars Club, créé par un jeune couple d’Américains (…) ; enfin et surtout le Haynes Bar, au 3 de la rue Clauzel, tout proche de la rue Mansart, donc, et, si l’on en croit ses photos, sa seconde maison.
L’auteur commet ici une erreur anachronique, puisque les photos de Wiggins - du moins celles publiées dans Le Noir et le Blanc, ont été prises au 7 de la rue Manuel, non loin de là ; ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas fréquenté les deux restaurants fondés par Leroy Haynes. La rue Clauzel n’ouvre ses portes qu’en 1964, environ quatre ans après qu’il ait laissé la salle de la rue Manuel à son ex-femme Gabby.
(NDLR)
« Lorsque la blonde et plantureuse Mimi ferme boutique, Eddy emmène tout le monde dîner chez son ami, congénère et compatriote, Leroy Haynes. Né lui aussi en Louisiane, l’ancien G.I. Leroy Haynes ouvrit en 1949 l’un des premiers (sinon le tout premier) restaurants américains à Paris. Autre point commun avec Edgar, il aurait longtemps hésité sur la direction à donner à sa vie : sa légende personnelle dit qu’il fut acteur, lutteur, soldat, mais l’histoire aura surtout retenu qu’il était bon cuisinier et qu’il savait recevoir. Leroy avait une tenue fétiche et une seule : le T-shirt blanc.
« Des deux côtés de l’Atlantique, les Noirs américains élirent bientôt le Haynes comme cantine. Les célébrités de New York et de Hollywood en visite dans la capitale française offraient leur portrait dédicacé à Leroy, qui rejoindrait aussitôt les centaines d’autres icônes en noir en blanc accrochées aux murs du restaurant. Quant aux Noirs américains anonymes qui avaient choisi comme Eddy de rester vivre à Paris, la guerre finie, après leur démobilisation, nombre d’entre eux s’établirent rue Victor Massé, à deux pas de chez Haynes et de l’immeuble où Wiggins logeait, puis un peu plus haut, sur le versant sud des boulevards Rochechouart ou de Clichy, où ils ouvrirent des boutiques d’instruments de musique les unes à côté des autres. Le quartier jazz de Paris était né, qui allait demeurer pour les futures générations rock et pop le lieu de référence, La Mecque en termes d’instruments et de partitions.
« Last but not least, Leroy avait épousé une Parisienne (blanche) répondant au nom de Gaby : nul doute qu’ils formaient le couple modèle aux yeux de Wiggins, c’est à dire le couple transgressif, interdit, romantique par excellence.
« Chez Leroy Hayes, on dîne d’un peu de soul food, On vient pour ça, pour retrouver quelques heures, en croquant dans une bouchée de gombo aux crevettes ou en savourant un banana cake, les sensations et les souvenirs enfouis avec la peine et les années, pour faire que resurgisse, intact, dressé dans son grand orgue de parfums et d’arômes, ce vieux Sud flamboyant et cruel, celui qu’on aime autant qu’on le déteste, mais qu’on ne veut plus revoir, c’est dit, c’est certain, sans appel.
FIN DES EXTRAITS du livre Eddy Wiggins : Le noir et le blanc - Texte de Gilles Leroy